vendredi 30 août 2013

Échange épistolaire à propos de la Charte Marois sur les valeurs québécoises ou Chronique d'une Charte annoncée

Je ne la connaissais que par Twitter et sa rapidité à retweeter bon  nombre de mes tweets. Je lui avais proposé la semaine dernière de venir me rendre visite. Elle n'a pas hésité à accepter masi plus tard. Pour l'heure je lui ai proposé un échange épistolaire (courriel). Nous venons de commencer avec justement la Charte. Je lui ai envoyé mon point de vue rapide sur la question et elle m'a répondu tout de go, somme toute de façon fort éloquente.

Bonjour Natalia/Sonia :)
 Je n'ai pas lu grand chose à propos de la Charte de Pauline Marois mais juste assez pour me faire hérisser le poil. Après Hérouxville et la commission Bouchard-Taylor, je considère que Marois fait comme si de rien était et débarque avec ce projet complètement "à côté d'la track". J'ai déjà entendu des Québécois de souche dire "On en veut des immigrants pour payer nos retraites!" Les immigrants c'est donc de la chair à canon au service des Québécois de souche? Je trouve ça honteux. J'ai longtemps travaillé à Montréal dans des usines de toutes sortes avec des immigrants, moi Québécois de souche. Les conditions de travail sont parfois dures et les trajet en bus ou métro pour se rendre sur les lieux de travail sont longs. J'ai travaillé dans des usines textiles avec des mères de famille immigrantes. On commençait à 7h le matin. Je m'imaginais que pour arriver à la "shop" à cette heure-là, elles avaient dû quitter leur domicile vers 5h30, sans avoir vu leurs enfants. Et quand elle rentraient le soir après une longue journée de travail dans des conditions parfois insalubres ou pas très loin de l'être, elle devaient s'occuper de faire à manger, les devoirs, etc. avec parfois des maris qui ne foutaient rien. Moi j'avais la liberté de ne pas être là très longtemps car je travaillais par une agence d'Emploi Canada pour du travail temporaire et occasionnelle. Donc j'étais là une semaine ou deux, parfois quelques mois. Mais elles c'était pour des années. Je trouvais ça très triste leur pauvre vie d'immigrantes où les conditions étaient parfois à peine meilleures que ce qu'elles avaient laissé là-bas dans leur pays.
L'immigration est un processus. Il est important pour un immigrant d'avoir des attaches à son pays d'origine en arrivant ici ou n'importe où. Cela prend du temps à s'enraciner et plus les conditions du pays "d'accueil" sont mauvaises plus longues sera la transition. Ce n'est souvent du reste qu'à la deuxième voire la troisième génération que se fait l'intégration entière. Si les enfants sont nés ici déjà, il y aura décalage entre eux et leurs parents. Et la génération suivante se sera intégrée. Alors demander aux immigrants de première génération d'abandonner tout sentiment d'appartenance au pays d'origine est manquer de semsibilité. Si on veut que les immigrants se sentent bien ici il faut faire en sorte qu'ils se sentent voulus, pas seulement un mal nécessaire parce que la population native diminue et qu'il y dénatalité.
Voilà pour le moment :)

Marc
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Bonjour Marc!

C'est un côté que je n'ai jamais personnellement connu, les shops du Québec, mais j'en ai déjà entendu parlé, quoique jamais dans de tels détails. Ce sont des expériences importantes à partager! Ça m'attriste que le discours du "eux contre nous" revient avec force, en oubliant que beaucoup d'entre nous ne venons pas au Québec et au Canada pour faire plaisir à qui que ce soit ni même pour profiter du système de bien-être social. La vie est en effet dure pour tout nouvel arrivant. Mes parents sont passés par des moments très difficiles en essayant d'aller de l'avant. Mon père est arrivé avec ses diplômes du Pérou, mais il a dû repartir de zéro en arrivant ici. Il a touché un peu à tout, incluant la distribution de public-sacs, alors qu'il devait aussi apprendre le français et réapprendre tout sur son domaine (il est mécanicien d'avion). Il est celui d'entre nous qui est le plus attaché à sa terre natale, mais puisque les conditions de vie au Pérou étaient pitoyables (il travaillait à temps plein sans autant pouvoir subvenir aux besoins de ma mère et moi), il a décidé de quitter le pays pour le Canada, qui demandait justement des travailleurs. Moi, je suis considérée Canadienne même par ma famille qui m'a vue quitter le vieux pays à l'âge de 3 ans, mais je m'identifie toujours difficilement au Québec de souche, même si je me débrouille mieux en français qu'en espagnol et que, traditionnellement, moi aussi je suis catholique (même si mon coeur n'y est pas). Donc, quand je vois la Charte des valeurs québécoises qui veut cacher toute différence religieuse, mis à part pour une croix ici et là question "tradition", j'ai l'impression qu'on me tourne le dos à moi aussi. Ce n'est plus une question de "neutralité" de l'état, c'est de l'intolérance. Ou plutôt le vieux coup du "je te tolère tant que je ne te vois pas". Qu'il y est un certain contrôle de l'expression religieuse chez les employés de l'état est un débat auquel je ne ferai pas objection, mais interdire tout expression religieuse est un pas contre le multiculturalisme. Quand pour soutenir ce point de vue ils invoquent l'inégalité homme-femme de certaines religions, ils semblent oublier que
  1. cela ne règle aucune inégalité,
  2. il y en a des femmes qui décident elles-mêmes de porter le voile (par exemple) au nom de leur tradition, non au nom d'une lecture misogyne du Coran ou quoi que ce soit.
Comme tu l'as dis, on ne peut pas forcer des immigrants d'arriver au Québec et de tout laisser tomber pour plaire à une charte qui se croit tout permis. Ceux qui se permettent croire simplement que si quelqu'un n'aime pas une telle chose au Québec, il ou elle n'a qu'à "retourner dans leur pays" connaissent rarement ce qui se passe en dehors de leur petit monde.
Changer de pays, repartir à zéro, c'est beaucoup de sacrifices. Souvent nous n'avons que notre identité pour nous tenir debout. Fermer l'expression religieuse ne va qu'empirer le cas des minorités qui essaient justement de s'intégrer sans renier leur identité. On croirait que de toutes les provinces du Canada, le Québec serait la mieux placée pour comprendre cela. L'inégalité homme-femme, bien existante même en dehors des religions, ne sera pas combattue en fermant la porte aux femmes qui veulent avoir le droit d'exprimer leur religion. J'ai même l'impression que chez les couples où la femme est considérée inférieure, cette charte ne fera qu'empirer leur cas.
Je suis aussi en désaccord avec l'idée d'interdire l'expression religieuse chez les enseignants. Il n'y a pas de meilleurs moyens de parler ouverture d'esprit quand un enfant ou un jeune se retrouve devant une personne différente. Cacher les différences religieuses tout en gardant la croix ici et là "question tradition" est faire passer le message que les autres religions sont mauvaises, immorales, de moindre valeur.
Je commence sérieusement à penser que le gouvernement Marois se fout de la souveraineté du Québec: un Québec "libre" doit avoir l'appuie de ses minorités, et pour cela elles doivent elles aussi se sentir libre.

C'est un peu beaucoup brouillon comme lettre. Je suis désolée! Je suis d'accord avec ton opinion. Je quitte dans une dizaine d'heures pour passer du temps avec ma mère en fin de semaine. J'espère avoir démêlé mes pensées d'ici mon retour!
À bientôt!

Natalia, ou Sonia :)

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